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Brèves
La nouvelle Star
jeudi 1er mars
Vu sur un panneau publicitaire, ce slogan : « Pourquoi faire une mauvaise émission avec des chanteurs connus, alors qu’on peut faire le contraire ? ».
Dois-je comprendre que M6 se vante de faire « une émission connue avec des mauvais chanteurs ? ». Ca serait logique : en effet, ce n’est pas la (...)
 
Doc Gyneco, tête de gondole !
vendredi 4 novembre
Dans les rues s’affiche une publicité sauvage de Doc Gyneco pour son prochain album. Il le fait façon rappeur hors-système, histoire de se rapprocher d’un public qui l’a fui depuis longtemps. Lisons un peu ce qu’il y a sur l’affiche : « Nouvel album Pour les prolos, deux pour le prix d’un » (...)
 
La Pitié Dangereuse de Zweig : Création et responsabilité
vendredi 2 septembre
Une fois n’est vraiment pas coutume, je fais passer un message perso : en 2001, j’ai adapté et mis en scène (une première au théâtre en Europe) La Pitié Dangereuse de Stefan Zweig. Ce roman magnifique traite très fortement (évidemment !) de la notion de responsabilité individuelle.
Or, j’ai (...)
 
Qui a dit ?
jeudi 28 juillet
« La longueur est nécessaire au théâtre populaire, comme le Kathakali en Inde ».
Réponse : Olivier Py, qui répondait à un journaliste d’Avignon à propos de la longueur impressionnante de son dernier spectacle (10h). Relevons d’abord la simple absurdité de la comparaison : le Kathakali est (...)
 
Ah, les artistes engagés !
L’insulte faite à Handke,
jeudi 4 mai 2006
par Pierre-Jérôme Adjedj
popularité : 77%
Décidément, l’engagement est à la mode chez les artistes français. Oh bien sûr, il y a du bon et du moins bon, du facile et du risqué, du démago et du sincère.

Récemment, on a vu se cotoyer dans une même période l’engagement annuel des enfoirés « chariteux » (si on vous demande si ce mot existe, dites que ça vient du Québec), les artistes de droite courageusement engagés pour Sarkozy, les artistes « ni droite ni gauche mais déjà très riches » contre la licence globale, ... bref beaucoup de positions détestables, chacune dans leur genre. On a eu aussi les artistes et personnalités engagées pour inciter les jeunes des banlieues à s’inscrire sur les listes électorales ; moi personnellement, en dehors du fait que les médias en ont fait un raccourci cliché (la bonne phrase de Bacri, le bon jeu de mot de Djamel, etc.), c’est de loin l’initiative qui emporte ma sympathie ; notamment parce que, contrairement aux enfoirés, il n’y avait que des mauvais coup à prendre de tous les côtés : de la part des jeunes ne comprenant pas de prime abord ce débarquement soudain de stars dans leur cité [1] ; de la part des racistes et autres paranos qui, au lendemain des émeutes, ont regardé d’un oeil torve cette initiative qui vise à faire voter les « brûleurs de bagnoles » ; de la part de la majorité des hommes politiques enfin, tout ceux qui n’osent pas critiquer ouvertement cette démarche citoyenne, mais qui se sont positionnés contre le vote des étrangers au élections locales... Bref, ces mecs qui se sont portés volontaires pour prendre des gnons forcent mon respect.

Mais voilà qu’une figure majeure du théâtre français se détache du lot en prenant une initiative qui fera date en terme d’engagement politique : j’ai nommé le sieur Marcel Bozonnet, ci-devant administrateur de la Comédie Française. Notre Marcel vient de déprogrammer le « Voyage au pays sonore ou l’art de la question » de Peter Handke, que Bruno Bayen devait mettre en scène au Vieux Colombier. Et pourquoi cette punition ? Parce que Peter Handke a commis le crime suprême : il s’est rendu aux funérailles de Milosevic. Quel rapport me direz-vous ? Aucun, en tout cas aucun rapport avec ses textes. Le problème vient juste de ce que Marcel Bozonnet refuse de recevoir dans son théâtre le texte d’un homme qui se rend coupable d’un pareil péché.

Et voilà qu’est relancé un débat vieux comme le Marchand de Venise : faut-il mettre sur un même plan l’auteur et l’oeuvre, l’oeuvre permet-elle de comprendre l’auteur ? William Friedkin, réalisateur notamment de l’exorciste, se range du côté du Proust de Contre Sainte-Beuve, considérant que « ce qu’un auteur écrit peut n’avoir aucun rapport avec sa véritable nature ». Ce qui veut dire que même dans le cas où Handke serat un horrible négationniste fasciste, ce qu’il n’est probablement pas, son oeuvre serait à regarder en tant que telle. A croire que depuis Céline, on n’a rien appris en terme de discernement entre auteur et oeuvre. Parce que considérer qu’il y a une corrélation forcée revient à considérer que Shakespeare est antisémite parce que le destin de Shylock traduit une punition pouvant refléter l’antisémitisme [2], à déduire que Moussaoui, par ses seuls dires, s’est rendu coupable autant que s’il avait agi, ... Bref, on est dans la confusion la plus totale.

Pourtant, monsieur Marcel Bozonnet devrait être au dessus de ça : ce n’est ni un imbécile ni un manichéen, sinon il ne serait pas administrateur de LA Comédie Française, la glorieuse institution qui représente à elle seule, vu de l’étranger, l’ensemble du théâtre Français. Mais curieusement, Monsieur Marcel ne joue pas du tout la carte de l’institution qui se doit d’être exemplaire : dans Le Figaro, glorieuse institution qui représente à elle seule, vu de l’étranger, l’ensemble de la presse Française... OK, j’arrête de déconner. Monsieur Marcel donc, dans le Figaro, joue profil bas, limite directeur de théâtre municipal : « Ce n’est pas une censure. C’est un directeur de théâtre qui décide de ne pas programmer une pièce, mais tous les autres peuvent la programmmer. Lui (Peter Handke), on lui donne beaucoup de liberté, qu’on m’en donne à moi aussi ». Ca c’est de la modestie, une marque d’humilité inattendue. Mais reprenons l’argument force de Bozo-nez(de clown) :« Pendant trois semaines, j’ai replongé dans cette horreur qu’a été le nettoyage ethnique ». Et là, j’ai envie de dire Bravo Marcel, tu t’es fait violence, c’est bien pour un artiste de regarder le réel en face, ça peut même stimuler la créativité. Mais en même temps, cette démarche de lucidité devrait te mettre en plein accord avec Peter Handke. Et pourtant tu dis : « Je ne suis pas un fouille-merde, mais j’ai été scandalisé par ce que Peter Handke disait ». On est donc obligé de regarder ce qu’il a effectivement dit. Sur la tombe du dictateur défunt, dont Handke ne nie nullement les crimes, l’auteur autrichien a simplement dit : « Le monde, le prétendu monde, sait tout sur Slobodan Milosevic. Le prétendu monde sait la vérité. Je ne sais pas la vérité. Mais je regarde. J’entends. Je sens. Je me rappelle. Je questionne. C’est pour ça que je suis présent aujourd’hui ». Qu’est-ce qui gêne notre Marcel dans cette déclaration ? Handke adopte simplement une position de défiance à l’égard de l’histoire officielle : il ne décrète rien, il se questionne, il se demande si mettre à jour et juger les crimes d’un régime peut tenir lieu d’explication suffisante sur les tenants et les aboutissants d’un conflit. Il ne fait que suggérer qu’il y a peut-être matière à aller au delà d’une stigmatisation dichotomique. Cette défiance, ce questionnement, ce refus des évidences trop faciles sont, il me semble, le B.A BA de l’artiste. Ou alors Bozonnet a raté sa carrière et aurait du se contenter de monter des mélodrames bourgeois ou mon cul sur la commode. Mais quand on se prétend engagé comme le fait par son acte pseudo-rebelle notre Bobozonnet, on est obligé d’avoir un minimum de nuance dans le jugement, de dépasser la bien pensance à l’emporte pièce. Ou alors on n’a qu’à considèrer que, par exemple, le conflit israélo-palestinien ne peut s’expliquer qu’à travers les méchants palestiniens ou les méchant juifs (selon le camp que l’on a choisi puisqu’on n’a plus le droit d’être mitigé) ; on décide alors que, pêle-mêle, la colonisation britannique, le cynisme des pays arabes environnants, les intérêts bien compris des américains, la mauvaise conscience de la communauté internationale vis-à-vis de la Shoah ne sont pour rien dans le conflit. Voilà sûrement le monde selon Bozonnet.

Monsieur l’administrateur devrait se méfier, être bien pensant et politiquement correct ne permet pas forcément de ramasser la mise. En ce qui concerne cette malheureuse histoire, l y a des signes qui ne trompent pas et qui témoignent de la ringardise extrême de sa démarche : même son ministre de tutelle, monsieur Donnedieu de Vabres en personne, trouve qu’il va trop loin (je cite) : « il aurait pu être utile de faire entendre au public les questions posées par la pièce de Peter Handke. Si je comprends et je respecte votre position de citoyen, je ne peux que prendre acte de votre décision qui engage non seulement la Comédie-Française et sa filiale, le Théâtre du Vieux-Colombier, mais aussi le metteur en scène et traducteur Bruno Bayen ainsi que les comédiens prévus pour jouer ce spectacle »). [3]

Finalement, peut-être que je l’ai surestimé : monsieur Bozonnet est peut-être un imbécile.

 

[1] le fameux reproche que TF1 et France2 se sont dépêchés de mettre en exergue : « vous étiez où quand les bagnoles brûlaient ? », qui n’est en fait que le début d’un diaogue qui a fini par être productif.

[2] J’ai d’ailleurs entendu un jour, au sortir d’un marchand de Venise très réussi monté par une metteur en scène juive, quelque chose qui est significatif. deux personnes, juives toutes deux, parlaient du Marchand monté un peu plus tôt par Andrej Sewerin, metteur en scène polonais, au Français justement. La première personne : « c’était comment ? ». Réponse de la deuxième : « complètement antisémite ». Ce qui veut dire que pour ces personnes, la seule grille de lecture du Marchand de Venise est : philosémite ou antisémite. Edifiant, et révélateur de l’époque.

[3] Soit dit en passant, on se demande pourquoi ce con de RDDV n’est pas aussi compatissant avec les intermittents qu’avec la troupe permanente très bien payée du Français, mais bon...

Documents joints à cet article :
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