Alors ça y est, on s’est mis d’accord ? Ca sera le 10 mai ? Ma première réaction a été de me demander si Chirac n’avait pas choisi cette date pour emmerder Mitterrand à titre posthume. Or, il s’agissait, comme l’indique l’historienne Françoise Vergès, membre du Comité pour la mémoire de l’esclavage, de choisir « Une date qui n’appartient à personne pour pouvoir appartenir à tout le monde ». Qui n’appartient à personne, mais représente en l’espèce la date du vote de la loi Taubira ; et surtout n’appartienne pas, par exemple, aux associations antillaises qui sont calées sur la date du 23 mai, à la double signification (à la fois premier jour de liberté des esclaves en 1848 et jour de la manifestation de descendants d’esclaves en 1998)...
Et voilà, on y revient toujours : on est tous d’accord pour commémorer ; mais comme toujours ça ne représentera pas le moindre signe positif pour le futur. La commémoration comme perpétuation de la fracture : de la solution finale à la mémoire de l’esclavage, le principe est le même. Toujours ta mémoire contre la mienne, la faute des uns contre la souffrance des autres. Et au fur et à mesure qu’on commémore, on s’éloigne des enseignements qu’on pourrait tirer de l’histoire ; et donc on s’éloigne d’une mémoire qui ferait honneur aux victimes.
Le « devoir de mémoire » est et reste une vaste connerie, un concept qui ne profite qu’aux lobbys intéressés et manipulateurs, pas aux peuples. C’est pour ça que je suis pour l’abrogation de toutes les lois mémorielles, et que je vomis les commémorateurs de toutes sortes,qu’ils soient regroupés en associations, en comités ou en ligues. Laissons l’histoire aux historiens et la parole aux citoyens considérés comme égaux en droit et en expression. Je sais que ce n’est qu’un fantasme républicain, mais il vaut bien le fantasme des communautés unies autour de mythes fondateurs sanglants. Car la citoyenneté, à la différence de l’appartenance communautaire, n’admet ni préférences ni sous-catégories.
"Commémorite" La fin de l’esclavage, la fin de l’occupation allemande - j’hésite à écrire de la victoire de La France, donnent cette semaine lieu à multiples commémorations : c’est d’une véritable « commémorite » que le pays est frappé.
Cette maladie honteuse inoculée par la sinistre paire présidentielle a réduit le pays à n’être plus que l’ombre de lui même. Mitterrand et son maître copieur Chirac ont élevé le rituel de la commémoration - repentance au rang d’obligations d’État.
Ajoutez-y une overdose de compassion, excusez vous de tout et de rien, faites déplacer un ministre et sa larme dès qu’un aléa frappe une demi douzaine de nos concitoyens et vous obtenez le cocktail chiraquien de réduction de la fracture sociétale. On a dévalué le devoir de mémoire auquel il est fait référence pour battre une coulpe - ni coupable ni responsable - des agissements de nos lointains aïeux.
Cette flagellation à laquelle nous invite les destructeurs patentés de l’identité nationale est reprise à son compte par un président incapable de résister aux pressions des minorités qu’il conforte dans leur travail de sape.
Est-ce en dévaluant en permanence le passé d’un peuple qu’on le prépare à affronter son avenir ? L’héritage de Chirac sera mesuré à cette aune. A un an de son départ on mesure le chemin qu’il lui reste à accomplir.