Et ça m’a rappelé des choses. Rappelez-vous, en avril 2002 : les français ont été mis devant un choix cornélien. C’était Chirac ou la promesse du chaos. Autant dire, pour des électeurs soucieux de l’exercice démocratique, le choix entre la peste et le choléra. Quel est le résultat aujourd’hui ? On s’achemine pour en 2007 vers un choix probable entre Sarkozy et Le Pen, donc entre la peste bubonique et la peste noire. Et en 2012, une fois qu’on aura tous voté Sarkozy pour sauver la France et qu’on se sera rendormis cinq ans, on choisira entre Le Pen (Marine) et Le Pen (Jean-Marie) ? Sûr que ce jour-là, on trouvera des qualités de démocrate à la blonde gauloise.
Ca m’a rappelé aussi le référendum sur le TCE : là encore, une prédiction en forme de menace : le oui ou le chaos. Quel est le résultat aujourd’hui ? A part quelques éditorialistes encore sonnés et de rares politiciens en manque d’audience qui continuent à cultiver leur mauvaise foi, force est d’admettre que le cataclysme tant annoncé tarde à venir. Au contraire, nos députés européens pédalent dans la choucroute (Strasbourg est un bon endroit pour ça) afin de trouver des pistes pour relancer l’Europe. Au moins, ce sentiment de perdition correspond-il à une réalité tangible. Il n’est cependant pas sûr que nos élus européens profitent de cette période de flottement pour nous inventer un monde meilleur ; je suis sûr au contraire qu’ils travaillent sur la planification de la prochaine fuite en avant.
Je pourrais écrire un article interminable s’il me prenait d’aborder la privatisation rampante de l’école, la dérive sécuritaire qui creuse le fossé (le premier qui parle de fracture sociale,... !) et autres délicieux phénomène de notre société malade. Pour en revenir à l’instabilité comparée des institutions françaises et allemandes, il est quand même fou de constater que l’homo democraticus préfèrera toujours une fuite en avant privilégiant toutes les rustines et tous les replâtrages plutôt que la remise en question du fonctionnement de la République. Je ne parle pas ici d’une révolution violente : celle-ci, d’ailleurs, se laisse plutôt deviner à travers l’actuel statu quo qui rejette à flots continus, par l’exclusion professionnelle et/ou sociale, toujours plus de citoyens vers un lumpenproletariat d’un autre temps. Le jour où la coupe sera vraiment pleine, il faudra d’ailleurs de très très gros kärcher pour contenir les foules furieuses (mais on a vu, en Amérique du Sud notamment, mais aussi à Gênes et à Evian, que c’est possible !). Je ne crois pas plus à la sixième République de Montebourg, en raison de la fourberie d’icelui durant la campagne référendaire (« je ne suis pas d’accord, mais je ne moufte pas... »). La solution n’est pas non plus, cela va sans dire dans le réformisme mou propre notamment au parti socialiste et à l’UDF : on a vu ce que le pragmatisme de Jospin, prolongé dans le discours par le flan hollandais, donne comme résultat.
Alors quoi ? Faut-il oser la démocratie participative ? Mais comment faire pour donner la parole enfin à ces masses qu’on estime abruties par le conditionnement des marchands du temple [1] ? Faut-il oser faire passer la culture et l’éducation du statut d’alibis à celui de valeurs réellement fondatrices de la République ? Qui prendrait le risque insensé de donner aux masses citées plus haut les moyens de penser par eux-mêmes, à supposer que l’on puisse le faire sur un simple claquement de doigt ? Et d’abord, l’intelligence et la libre pensée, tous les bons économistes vous le diront, c’est mauvais pour la consommation, ça casse la croissance, et donc c’est mauvais pour l’emploi.
Alors certes, toutes les belles intentions ci-dessus sont éminemment incompatibles avec le système économique où nous vivons. Mais faut-il pour autant vivre tranquille dans les brumes de l’aveuglement en attendant la mort ? Ce fatalisme qui transparaît dans le discours des politiques de tout bords, cet éternel « mais que voulez-vous, il faut en passer par là » n’est qu’une manière de nous faire accepter qu’un autre choisisse pour nous où et comment nous serons pendus. C’est cette insulte fondamentale aux droits de chacun qui justifie à elle toute seule qu’on ait le cran de mettre la Vème République à bas, et pourquoi pas l’Europe dans sa forme actuelle à bas, si le droit de chacun à y vivre décemment n’y est pas assuré. Parole de républicain et d’européen convaincu !
[1] se référer sur le sujet à l’excellent dossier du canard enchainé sur la grande distribution