Enfin quand je dis hélas, c’est peut-être une erreur. Parce qu’après tout, une personne dont les actes et les paroles tiennent d’un bloc peut être considéré comme sain d’esprit et peu sujet à l’aliénation schizophrénique qui frappe tant de nos hommes politiques, de droite comme de gauche. Etant cohérent, il est donc responsable de ce qu’il dit et fait. CQFD.
A la limite, je ne vais donc pas ajouter à la polémique sur ces déclarations infâmantes pour la République laïque : peut-être faut-il simplement rappeler que la mise sous contrat de la plupart des écoles privées fût en son temps un moyen de les faire rentrer (en achetant leur consentement avec du bon gros argent) dans les rails d’un programme à peu près normalisé, et donc, dans le giron de la République. Alors certes, il est des écoles privées qui n’ont plus maintenant de confessionnelle que le nom, et qui obtiennent de très bon résultats aux examens. Oui mais...
Ce serait oublier que l’entrée des écoles privées est le plus souvent cadenassée par des tests de niveaux et par une sélection sur dossier (quand ce n’est pas sur piston) ; ce serait oublier également que la scolarité s’échange ensuite contre de bons gros chèques qui viennent s’ajouter à la manne de l’Etat pour constituer les bénéfices de ces écoles rentables. Ce serait oublier enfin que les professeurs ne sont plus souverains face à leurs élèves, puisque leur sort contractuel est lié aux effets conjoints des résultats et de l’applaudimètre face à des parents qui sont « clients ». N’est-on pas un peu loin de l’égalité des chances ? Bon, fermons là le ban(c) pour l’école privée, et revenons au public.
Les mesures de Gilles De Robien sur les remplacements est véritablement un scandale par son principe même. Petit rappel : il est question que les professeurs remplacent, de gré ou de force, leurs collègues pour des absences dites « programmées » ou d’urgence. Ces absences, payées en heures supplémentaires (mieux que les heures de cours normales !), seront gérées par les chefs d’établissements avec les enseignants en poste sur place (les absences de longue durée, c’est-à-dire supérieure à deux semaines, resteront gérées par le rectorat, qui feront appel aux titulaires en zone de remplacements - les TZR, ou les vacataires, qui sont des contractuels sous-payés et sous-formés, sélectionnés sur CV à BAC+3). Ce qui est cocasse, c’est que les profs pourront apprendre le remplacement à effectuer la veille pour le lendemain ; et dans certains cas, on préfèrera prendre un prof d’une autre matière plutôt que de recourir à une heure de permanence.
Pointons une par une les absurdités qui rendent impossible cette « continuité de l’enseignement » si chère au ministre :
Les absences progammées : elles sont par nature prévisibles. Que comprend cette catégorie ? Les sorties et voyages scolaires, les stages de formation, les convovations pour corrections d’examens ou réunions pédagogiques. Les sorties et voyages sont, on en conviendra aisément, bénéfiques aux élèves et demandent à l’enseignant, en dehors de sa présence permanente le(s) jour(s) concerné(s), un temps de préparation important. Peut-on considérer alors qu’il est ABSENT puisqu’il travaille ? Les stages, si décriés par certains parents à l’esprit consumériste sont, on ne le dit pas assez, fortement recommandés par l’inspection académique (la note des enseignants peut en dépendre) : le ministère stigmatise donc une absence que l’inspection préconise. Les convocations sont quant à elle, par nature, imposées par la hiérarchie. Donc la question est : pourquoi considérer cela comme une absence et vouloir à tout prix replâtrer le vide ? L’école publique a-t-elle donc une fonction de garderie ?
les absences d’urgence : c’est le cas du prof qui tombe malade ou qui craque inopinément (Et oui, ça arrive partout, même dans le public !). Si l’absence est supérieure à 24 heures, mais inférieure à deux semaines, on bouche les trous en interne. Mais si l’absence est supérieure à deux semaines, le rectorat s’en charge, sachant que l’arrivée d’un TZR peut mettre de quinze jours à un mois, lenteurs de l’administration oblige. Mais durant ce temps de latence, il ne sera pas question de prendre le moindre remplacement en interne, et cela occasionnera pour le coup une véritable « discontinuité » de l’enseignement. Or, c’est précisément ces absences longues qui posent problème, plus que les stages et autres (pour lesquelles beaucoup de profs rattrapent d’ailleurs leurs heures, soit-dit en passant). Donc, la mesure, en plus d’être inique, ne règle aucunement le problème des absences.
Il y a une chose dont je n’ai pas encore parlé, et qui est peut-être le point le plus fondamental, si l’on considère que le rôle de l’école est la formation des citoyens de demain : la qualité de l’enseignement. En effet, que peut-on attendre d’un système où les profs devront, du jour au lendemain, assurer un cours pour des élèves qu’ils ne connaissent pas, dans un processus pédagogique qui a été engagé par leurs collègues ? Pour les absences longue durée, il faut bien accepter la rupture inévitable qui se produit quand un TZR prend un poste. Mais pour des absences d’un ou deux jours, à quoi ça rime ? Un tel mépris des notions de base de la pédagogie montre une méconnaissance totale de ce qui fonde l’enseignement.
La question pour cette réforme n’est donc pas seulement le corporatisme des « profs-qui-refusent-toute-évolution », faux-argument qui sert à tous les gouvernements de droite (+Claude Allègre) chaque fois qu’une réforme soulève les protestations. La preuve : il semblerait que certains parmi les profs les plus « immobilistes » ne soient pas renversés d’indignation et voient dans ces heures supplémentaires un supplément de rémunération facilement acquis. Les plus enragés, me semble-t-il, sont plutôt ceux qui se démènent ; certains sont en début de carrière, et auraient même bien besoin de ce petit complément que pourtant ils refusent. Mais peut-être qu’en plus d’être obtus et dogmatiques, ils sont stupides... A se demander comment ils ont eu leur diplôme.
Ne nous y trompons pas : cette réforme n’est pas simplement une mesure pratique pour « assurer la continuité de l’enseignement ». Elle est réellement symptomatique de ce monde dont rêvent Sarkozy et ses affidés (dont Robien fait apparemment partie en dépit de son appartenance -de plus en plus virtuelle il est vrai- à l’UDF) : un monde libéral, où seul les plus mauvais iront traîner leurs guêtres sur les bancs de l’école publique, en attendant le relais des aides sociales ou de la prison. Finalement, la mise en contrôle continu d’une partie du bac, proposée en son temps par Fillon, n’était qu’un « ballon d’essai », comme dirait Dominique Perben. Ceux qui sont convaincus que nous avons toujours dix ans de retard sur les Etats-Unis n’ont qu’à lorgner où en est l’égalité des chances dans ce pays.