On pourra toujours me dire que Rocard est l’emblème du social-libéralisme. Qu’il est difficile de trouver sympathique un homme qui se découvre des accointances (limitées tout de même) avec Frits Bolkestein. Mais que voulez-vous, quoi que je fasse, j’aime Michel Rocard ! Je l’aime ! Aucune ironie là-dedans, c’est sincère. Comme tout amour, il y a une part de déraison ; et pourtant, s’il était tout à coup candidat à la présidentielle par un coup de baguette magique, je serais soulagé de mon indécision et je voterai pour lui, oubliant les calculs arithmé-pathétiques (et si c’est Ségo-Bayrou ? Ou Sarko-Le Pen ? Ou Sarpen - Rouyal ?) du votant paumé et désenchanté.
J’ai au moins une raison d’aimer Rocard au jour d’aujourd’hui. Son appel à l’alliance PS-UDF a un mérite qui enfonce les Royal et Bayrou dans la médiocrité de leur mégalomanie : il dit clairement pourquoi cette alliance est nécessaire. Repoussant du pied le manège enchanté promis par les deux candidats, il affirme clairement la nécessité d’éradiquer le danger Sarkozy (ceux qui pensent qu’on en fait trop dans le "tout sauf Sarko" ont raison : le tout sauf... est toujours trop. Ca n’enlève rien au fait que ce mec est dangereux : Ségolène et Bayrou sont dangereux aussi, mais Sarko a les moyens de ses ambitions). Comme d’habitude, Rocard appelle un chat un chat. Il ne croit absolument pas, ni à Royal ni à Bayrou pour redresser la France. Rocard est un pragmatique, il ne prétend pas être magicien, il est sans emphase... Toutes qualités primordiales, mais qui lui interdirent d’être un candidat crédible. On aurait d’ailleurs pu croire avec Jospin qu’on pouvait gouverner sans chercher à être « sexy » (même si "l’austère qui se marre tout seul" est loin d’avoir les mêmes qualités). Mais sa mégalo apparût lors de la campagne 2002, et lui coûta le deuxième tour, et nous coûta cinq ans supplémentaires d’une Chiraquie forcée ou Sarkozy a pu incuber tranquillement.
Alors à tous les ségolistes (et bayrouistes) enthousiastes (et j’en ai malheureusement dans mon entourage), j’ai envie de dire : si vous trouvez que Rocard est triste et terne, dites-vous bien que l’exaltation que vous ressentez à la vue de votre héroïne vous promet une descente vraiment mortelle... Moi au moins, je regarde Rocard, et je garde les pieds sur terre...