on voit mieux la route
Accueil du siteCulture
Brèves
La nouvelle Star
jeudi 1er mars
Vu sur un panneau publicitaire, ce slogan : « Pourquoi faire une mauvaise émission avec des chanteurs connus, alors qu’on peut faire le contraire ? ».
Dois-je comprendre que M6 se vante de faire « une émission connue avec des mauvais chanteurs ? ». Ca serait logique : en effet, ce n’est pas la (...)
 
Doc Gyneco, tête de gondole !
vendredi 4 novembre
Dans les rues s’affiche une publicité sauvage de Doc Gyneco pour son prochain album. Il le fait façon rappeur hors-système, histoire de se rapprocher d’un public qui l’a fui depuis longtemps. Lisons un peu ce qu’il y a sur l’affiche : « Nouvel album Pour les prolos, deux pour le prix d’un » (...)
 
La Pitié Dangereuse de Zweig : Création et responsabilité
vendredi 2 septembre
Une fois n’est vraiment pas coutume, je fais passer un message perso : en 2001, j’ai adapté et mis en scène (une première au théâtre en Europe) La Pitié Dangereuse de Stefan Zweig. Ce roman magnifique traite très fortement (évidemment !) de la notion de responsabilité individuelle.
Or, j’ai (...)
 
Qui a dit ?
jeudi 28 juillet
« La longueur est nécessaire au théâtre populaire, comme le Kathakali en Inde ».
Réponse : Olivier Py, qui répondait à un journaliste d’Avignon à propos de la longueur impressionnante de son dernier spectacle (10h). Relevons d’abord la simple absurdité de la comparaison : le Kathakali est (...)
 
Avignon et l’imposture de l’avant-garde
L’imposture n’est pas où l’on croit
jeudi 28 juillet 2005
par Pierre-Jérôme Adjedj
popularité : 14%
Pour la première fois cet été, j’ai contemplé le festival d’Avignon en simple spectateur. Une expérience riche et régénératrice, n’ayons pas peur des mots, mais qui dresse à plus d’un titre un portrait sombre de l’état du monde.

Avignon 2005. A côté du nouveau record de spectacles présentés dans le « Off » (775 !), la vraie polémique semblait se situer dans les choix de la nouvelle direction du « In ». Enfin, quand on dit « vraie polémique », on entend bien sûr la polémique menée par le Figaro et Libération, qui sont les seuls vrais gardiens du bon goût dans tous les domaines, et dans la culture en particulier. Donc, la polémique était : « quoi, pas de spectacle 100% théâtre dans le In, quel scandale, rendez-vous compte ! La cour d’honneur squattée par un performer flamand aux spectacles inclassables, mais où va-t-on ? Le In est envahi par les démonstrations noires, sanguinolentes, etc. au point que même les spectateurs poussent des cris d’orfraie... Vilar, reviens, ils sont devenus fous ! »

Disons-le tout de suite, cette polémique qui vise les nouveaux directeurs du festival est d’une stupidité confondante. Entre Le Figaro (contre) et Libération (pour), on a droit des deux côtés à un festival d’amalgames visant à faire gonfler la polémique coûte que coûte. Libé, par exemple, n’hésite pas à assimiler ceux qui résistent à l’évolution comme les tenants beaufs et frileux d’une parano généralisée qui les a, par exemple, amenés à voter non au référendum (comme vous le savez si vous lisez ce blog, j’ai voté non, je me fous des JO, et pourtant je ne suis ni beauf ni parano). Décidément, Libé n’en finit pas de s’enfoncer. Le Figaro, quelque part, a une position plus claire, parce que plus ouvertement réactionnaire. Je citerai au passage des articles inintéressants en eux-même, mais qui révèlent carrément la bêtise et l’amateurisme de leurs auteurs. Tout d’abord la pauvre tribune de René Gonzalez [1] dans L’Humanité : il ne peut s’empêcher de fustiger l’irruption des arts plastiques dans un festival « marqué par l’autisme et l’onanisme triomphants », parlant sans honte de « véritables attentats à la vérité, à l’intelligence, à la modestie, à l’humilité, à la dignité tout simplement » (ce qui, soit-dit en passant, laisse penser qu’il sait où se trouve la vérité -l’heureux homme). Il loue ensuite les seuls gardiens du bon goût, enfermant Py, Nadj et Sivadier dans la catégorie « Honneur du théâtre » dans laquelle ils n’ont pas demandé à figurer. Ensuite, il y eut l’article de Raphaël De Gubernatis qui, dans le Nouvel Obs, croit pouvoir déceler dans l’oeuvre de Jan Fabre des « relents de fascisme », ce qui est plutôt cocasse quand on sait que le Flamand s’échine à travailler dans le berceau même des fachos du Vlaams Belang, faisant acte de résistance alors qu’il aurait toutes les résidences qu’il veut ailleurs. Le minimum, quand on est journaliste, c’est de se documenter.

Avant d’en venir à une analyse sur les spectacles qui démontrera que la polémique est comme toujours centrée sur de faux problèmes, je ne résiste pas à citer Peter Sloterdijk, a propos de la polémique qui l’a lui-même visé à la sortie de « Règles pour le parc humain ». Il parle de cette presse qui pratique « l’excitation artificielle » : « L’irruption de la presse à scandale dans les pages culturelles - organisée comme toujours par les mêmes personnes au delà de tout soupçon - est un phénomène de crise révélant une tendance toute puissante à la réorientation des médias, qui passent de l’information à la production d’émotion. Au lieu d’encourager les distinctions, cette fraction de la presse considère comme une aubaine le fait de pouvoir déclencher par un journalisme de l’excitation verbale des psychoses de simplifications massives. »

On ne saurait mieux dire. Parce que le véritable scandale révélé par le In d’Avignon oblige à des distinctions fines, qui dépasse le fait de savoir si le In est envahi par les imposteurs, ou si la danse a le droit de prendre le pas sur le théâtre. Comme l’a dit une comédienne de la Mort de Danton, superbement mis en scène par Sivadier, lors d’un apparté public : pourquoi pas la danse ET le théâtre ? La question n’est pas non plus de savoir si c’est la place du festival IN de proposer au public des scènes telles qu’une masturbation féminine avec des gants de vaisselles (R. Castelluci). Si l’on écarte le conservatisme des puristes qui en appellent à Vilar pour défendre le statu quo [2], la seule question quand on parle de spectacle vivant est, il me semble, de savoir si cela a un rapport avec le vivant. Posée sous cet angle, la question ouvre une réflexion un peu plus complexe sur l’inflation galopante des spectacles issus d’une hybridation entre différentes formes d’art. Ce qui semble faire peur aux purs théâtreux (dont je devrais faire partie en tant que metteur en scène de Théâtre avec un grand T), c’est la façon dont les frontières deviennent parfois floues entre théâtre et performance. Tous semblent se dire : et si l’objet aimé était en train de nous échapper ?

Cette peur révèle à mon sens plus une crise de système qu’une crise artistique. En premier lieu, la vivacité et l’audace de certaines propositions (Fabre, Castelluci, Peyret, ...) ne remet pas en cause ceux qui font du théâtre plus « traditionnel » (terme qui ne veut rien dire en soi). Parce que le dénominateur commun entre le théâtre de Jean-François Sivadier et les expériences de Jan Fabre, c’est la capacité de ces spectacles à parler du vivant, à mettre l’humain au centre de tout.

Ce qui n’est pas le cas, par exemple, du Hamlet monté par Hubert Colas : ce spectacle de « vrai théâtre » (des comédiens qui parlent, avec à peine une petite pointe -inutile- de vidéo) est une vraie démonstration de ce qui dégoûtera à terme les spectateurs. Cet Hamlet aux hormones (5 heures tout de même !), est lent, prétentieux, incompréhensible (avec Hamlet, il fallait y arriver !) et surtout vide de tout propos.

Donc, la vraie question serait : quels sont les spectacles du In d’Avignon, quels qu’ils soient, qui renvoient un reflet sensé du monde ? En faisant le tri, on s’apercevra qu’il y a des deux côtés des spectacles de « vrai théâtre » et des formes hybrides, que la frontière n’est pas déterminée par les formes. Le vrai scandale du In est finalement le même depuis la création du festival : il y a des spectacles qui ne semblent avoir pour toute vocation que de nous emmerder. Au palmarès des emmerdeurs cette année, on retrouve à mon sens, côte à côte, Colas, Castelluci, Monnier/Angot, et du côté de ceux qui m’enchantent, Sivadier et Fabre (liste non exhaustive dans les deux cas). Evidemment, mon avis prêtera à discussion avec tous ceux qui ne sont pas d’accord, et tant mieux. Mais en tous cas, ça ne valait pas cette polémique manichéenne et fabriquée de toutes pièces, et je serai le premier à défendre Castelluci si on le vise en raison de la forme de ses spectacles (moi c’est plutôt le fond qui me gonfle).

Mais je conviens que cette modeste théorie n’est pas bonne pour le journalisme généraliste : trop de nuances. Le Figaro, c’est son rôle, a besoin et envie de continuer à aimer Olivier Py contre Castellucci, Nadj contre Fabre. J’ai beau détester les spectacles d’Olivier Py et ceux de Castellucci, il n’en reste pas moins que le premier a coproduit le second, ce qui prouve que les oppositions ne tiennent pas. Libé veut continuer à aimer inconditionnellement tout ce qui sort des sentiers battus (mais ils aiment aussi Olivier Py et Hubert Colas, lectorat de bobos oblige).

Bref, la culture est un combat, le théâtre est effectivement dans une période de mutation qui rejoint l’état du monde, mais une chose est sûre (attention, j’enfonce une porte ouverte) : les solutions ne viendront pas de la presse généraliste [3], parce que les vraies questions sont incompatibles avec la rentabilité immédiate dont ces journaux ont besoin.

 

[1] René Gonzalez est le directeur d’un Théâtre de Vidy-Lausanne qu’on a connu moins frileux. Mais il est vrai qu’on ne peut rien attendre d’un type qui revendique sa collaboration étroite avec Philippe Faure, directeur du Théâtre de La Croix-Rousse de Lyon, que j’adore comme certains le savent.

[2] la statufication de Vilar est d’ailleurs symptomatique : en se revendiquant de lui pour justifier une présence du « vrai » théâtre, on le tue une deuxième fois en éradiquant ce que Vilar était de son vivant, c’est-à-dire un pionnier, qui se fît insulter pour avoir invité Béjart dans la cour d’honneur !

[3] donc si on exclut les marchands de mode et de polémiques, il ne reste guère que Mouvement

Articles de cette rubrique
  1. Avignon et l’imposture de l’avant-garde
    28 juillet 2005

  2. Tournée des enfoirés
    15 décembre 2005

  3. Ah, les artistes engagés !
    4 mai 2006